L'immense émotion suscitée par la découverte lundi à l'entrée de la calanque de Morgiou de trois dauphins "bleu et blanc" gisant sur le sable par 58 mètres de fond, attachés à un corps-mort, a largement dépassé les limites des eaux phocéennes. Selon nos sources, l'information serait même remontée au plus haut niveau de l'Etat, notamment au ministère de l'Environnement où l'affaire aurait fait grand bruit.
Et pour cause : le lieu où les dauphins ont été coulés volontairement - et peut-être capturés et tués - se situe au coeur du futur parc national des Calanques dont la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet a fait l'un de ses chantiers prioritaires. Une affaire qui tombe d'autant plus mal que la protection dont bénéficiaient déjà certains mammifères marins, dont le dauphin bleu et blanc, a été considérablement renforcée, à la demande de cette dernière, depuis le 1er juillet 2011.
D'importants moyens pour repêcher les corps
surveillance du littoral (BSL). D'importants moyens humains et nautiques ont ainsi été engagés hier après-midi sur zone afin d'effectuer les premières constations in situ, puis remonter à la surface les trois cadavres et les confier au laboratoire vétérinaire départemental (LVD) aux fins d'autopsie.
Saisi, le parquet de Marseille a donc décidé d'ouvrir une enquête préliminaire pour "capture et destruction de mammifères marins protégés"; enquête confiée à la Brigade de
Deux vedettes de la Gendarmerie maritime dont la VCSM Huveaune basée à Marseille et menée par son commandant en second, le maréchal des logis chef (MDLC) Fabien Sanson, le bateau de l'Ecole d'application de la sécurité civile, basé à la Pointe Rouge, plusieurs pneumatiques et près d'une vingtaine de militaires prenaient position autour du site, tenant à distance les navires trop curieux.
"Disposer des cadavres est indispensable pour avoir confirmation de l'espèce concernée, établir la date du décès des animaux et surtout tenter d'en établir la cause exacte, explique le MDLC Marc Randon, directeur d'enquête, qui a supervisé l'opération. Nous disposons également d'un système d'imagerie permettant de réaliser des images de la situation au fond de l'eau et de les transmettre en temps réel aux opérateurs de surface. Ces derniers peuvent alors demander à une autre équipe de plongeurs de mener une investigation particulière ou de remonter un élément isolé, jugé déterminant pour l'enquête".
Les mammifères placés dans des sacs mortuaires
Grâce aux informations très précises fournies par Fabienne Henry, la monitrice de plongée cassidaine qui avait découvert les animaux, les plongeurs de la sécurité civile -seuls habilités à plonger à l'air à cette profondeur- retrouvaient très rapidement les dauphins, à une centaine de mètres à l'Est de l'entrée de 1a calanque. Débutait alors la délicate et éprouvante remontée des animaux à l'aide de "parachutes"; les dauphins ayant été préalablement enveloppés avec beaucoup de précaution, voire de délicatesse, dans des sacs mortuaires.
D'ailleurs, le fait que ces mammifères marins soient traités comme l'auraient été ceux d'êtres humains décédés, accentuait le caractère hors du commun de cette affaire. "Je n'ai jamais vu un tel déploiement de moyens d'enquête pour des animaux", confiait l'un des plongeurs du peloton de sûreté maritime portuaire, pourtant appelé à intervenir sur les scènes de crime les plus improbables.
Les dauphins autopsiés aujourd'hui
Les trois dauphins ont ensuite été transportés par mer jusqu'à la Pointe Rouge où un véhicule spécial les attendait pour les conduire au LVD afin que le docteur Micout, chargé de l'autopsie, puisse débuter son travail dès ce matin. Une journée qui allait connaître un autre moment d'intense émotion quand un énorme rorqual commun, reconnaissable à son souffle puissant et parfaitement vertical, est passé à quelque distance du lieu du drame. Comme pour adresser un dernier salut à ses cousins "à dents", victimes de la bêtise humaine.
LE TEMOIGNAGE
"Je ne pouvais pas rester silencieuse"
Présente à bord de la vedette Huveaune, Fabienne Henry a suivi toutes les étapes de cette opération techniquement complexe en raison de la profondeur. Bien connue à Cassis où elle est monitrice de plongée au sein du club Narval, Fabienne ne regrette en rien sa démarche.
"Lundi, en sortant de l'eau, je me suis dit: tu dois faire quelque chose. Ce que tu as vu ne peut pas être passé sous silence. J'ai d'abord pensé aux réseaux sociaux, mais j'ai préféré contacter le Groupement d'étude des cétacés de Méditerranée et la presse. Je ne m'attendais pas à ce que cela suscite autant d'intérêt et provoque un tel déploiement de moyens. Mais au final, je suis heureuse que les autorités aient décidé ne pas laisser passer un tel acte. Cette affaire reste cependant très curieuse. Pourquoi les avoir déposés sur un site de plongée ? Si on voulait vraiment faire disparaître les dauphins, il suffisait de les immerger quelques centaines de mètres plus à l'est. Les fonds tombent à 80 mètres et là personne ne serait jamais allé les trouver".
Un spectacle d'une telle horreur surgissant par 58 mètres de fond dans le champ de vision d'un plongeur en scaphandre, peut lui coûter la vie. Il en effet très difficile de maîtriser son émotion en pareilles circonstances et d'éviter que ne survienne un essoufflement catastrophique ou ne s'aggrave une narcose à l'azote.
Et c'est sans doute grâce à leur longue expérience de la plongée que Fabienne Henri, responsable de la formation au centre subaquatique Narval, à Cassis, et son binôme Jacqueline Dozin ont su conserver tout leur sang-froid, ne cédant à aucun moment à la panique.
des pratiquants locaux en raison notamment de la présence de plusieurs épaves de voitures ayant sans doute servi à commettre quelques méfaits et dont les propriétaires avaient souhaité se débarrasser.
Ce lundi matin, les deux amies avaient décidé d'explorer une nouvelle fois le lieu-dit "les Carcasses", dans la calanque de Morgiou; un site de plongée bien connu
"Nous nous trouvions à -55 mètres quand notre attention a été attirée par des masses de couleur claire, aux formes inhabituelles, un peu en dessousde nous, raconte Fabienne. En nous approchant d'avantage, nous avons distingué trois dauphins morts qui gisaient sur le sable."
La scène est déjà peu engageante, d'autant que la tête, le rostre et les nageoires des malheureux mammifères sont en partie dévorés par les animaux marins nécrophages.
Mais pour les deux plongeuses, le plus terrible est encore à venir. "En les observant de plus près, nous avons constaté qu'une grosse corde était attachée à la queue de chacun des dauphins et les reliait à un corps-mort", raconte Fabienne qui, trois jours après la macabre découverte, a encore bien du mal à contenir sa colère et son indignation.
Et pour cause : le corps-mort a été fabriqué de manière artisanale, selon une technique bien connue des pêcheurs et des plaisanciers méditerranéens qui s'en servent habituellement pour réaliser un mouillage fixe pour leur bateau. Cette fois, il s'agit d'un pneu de voiture dans lequel a été coulé du béton; un coude en acier de fort diamètre ayant été préalablement placé en son centre afin d'y fixer une corde ou une chaîne.
Un dispositif qui n'est pas sans rappeler les pratiques de la pègre et les tristement célèbres "bottes en béton" qui permettent de faire disparaître un cadavre en le lestant et en l'immergeant à grande profondeur. Le parallèle est consternant, surtout lorsque les victimes sont des dauphins.
Ayant emporté avec elles un appareil de prise de vues sous-marines, les deux plongeuses saisissent alors chaque détail de ce spectacle ahurissant, bien décidées à révéler et dénoncer ces pratiques d'un autre âge. Des images chocs qu'elles ont bien voulu confier à La Provence et que nous publions aujourd'hui.
Mais cette affaire n'a pas fini de faire couler de l'encre. Et pour cause: les trois dauphins ont été retrouvés au coeur même du futur espace protégé que constituer dans quelques mois -si tout va bien- le parc national des Calanques. Un parc pour lequel la présence maintes fois signalée de grands mammifères marins (dauphins, rorquals communs, globicéphales, etc.) est censée apporter une immense plus-value en terme de notoriété et d'attractivité
-----------------------------------------------
"On soupçonnait ces pratiques sans en avoir la preuve"
Le commentaire de Franck Dhermain, responsable du Groupe d'études des cétacés en Méditerranée
Strictement protégés depuis 1970, l'ensemble des mammifères marins évoluant dans les eaux françaises, parmi lesquels le dauphin bleu et blanc dont trois spécimens ont été retrouvés lestés et coulés au fond de la calanque de Morgiou, bénéfice depuis quelques mois d'une nouvelle réglementation.
Ce texte préserve encore davantage non seulement leur intégrité physique contre toute agression humaine, mais également leurs lieux de vie, de nourrissage et de reproduction. Un cadre juridique renforcé qui ne permet cependant pas d'éviter que soient commis des actes aussi barbares qu'inutiles.
"Nous soupçonnions depuis longtemps l'existence de ce genre de pratiques, mais nous n'avions jamais pu encore en apporter la preuve formelle, explique le vétérinaire Franck Dhermain, responsable du Groupe d'études des cétacés en Méditerranée (GECEM) et du réseau national d'échouage. C'est désormais chose faite. Et c'est pour nous une avancée très importante."
Un spécialiste des mammifères marins qui rapporte d'ailleurs d'autres faits au moins aussi ignobles, portés à sa connaissance par des observateurs fiables. "Parfois la méthode est beaucoup plus expéditive. Les dauphins capturés par erreur sont éventrés sur le bateau, puis leurs poumons retirés et remplacés par des blocs de pierre. Le tout ainsi lesté, est jeté par-dessus bord
"
Cette affaire de dauphins attachés à du béton pose cependant beaucoup de questions. "On voit mal un particulier capturer trois de ces animaux coup sur coup et les couler de cette façon. Tout porte à croire qu'il s'agit du geste d'un pêcheur confronté à des prises accidentelles. Je ne crois pas à une action délibérée, ni à une cruauté volontaire. Les dauphins qui se nourrissent quasi exclusivement de calmars, ne sont d'ailleurs pas en compétition avec les pêcheurs locaux. On peut raisonnablement penser que celui qui les a capturés, a eu peur de les ramener à terre car cela aurait donné une mauvaise image de la profession, surtout par les temps qui courent."
Pour Franck Dhermain, la question est plutôt de savoir dans quel type de filet se sont fait piéger les dauphins. Une question qui en appelle alors une autre : "Y aurait-il toujours des filets maillants dérivants près de nos côtes alors que leur utilisation est interdite ?
------------------------------------------------
"Les murs de la mort" sévissent encore
"Un pêcheur a peut-être fait ça, mais certainement pas un pêcheur français, et encore moins un petit pêcheur artisanal marseillais", assure le président du comité local des pêches de Marseille, Mourad Kahoul, apparemment troublé par l'affaire des dauphins de Morgiou.
"Que ce soient des filets à rougets, à rascasses ou à merlan, aucun des engins de pêche que nous utilisons ne peut arrêter un dauphin adulte lancé à pleine vitesse. Les mailles sont comme des cheveux; l'animal passe au travers", ajoute-t-il en connaisseur.
Mais pour le Premier prud'homme de Marseille qui se rend demain à Bruxelles "afin d'exiger des instances communautaires qu'elles prennent enfin le problème de la pêche illégale à bras-le-corps", l'explication d'un tel acte doit être recherchée ailleurs. Ou plutôt un peu plus au large, à la limite extérieure des eaux territoriales françaises
"Les réglementations successives ont complètement démantelé la flotte artisanale, alors que le grand braconnage international se poursuit à nos portes. L'utilisation des filets maillants dérivants est interdite à moins de 12 milles des côtes, mais à 13 milles, des bateaux pirates, battant pavillon italien, espagnol ou asiatique, travaillent toute l'année en utilisant de véritables murs de la mort."
"Leurs filets s'étendent sur plusieurs dizaines de kilomètres, auquel viennent s'ajouter des palangres de 20 à 30 kilomètres chacuns, équipés d'hameçons grands comme des crochets de boucher et qui eux non plus, contrairement à ce que l'on croit, n'ont rien de sélectif et ne font donc aucune ou très peu de différence entre les espèces."
Et Mourad Kahoul de conclure : "C'est toute l'hypocrisie de l'Union européenne. On va taper sur les petits pêcheurs marseillais quand ils rentrent dans le Vieux Port parce que c'est facile. Il suffit de les attendre sur le quai. Mais personne ne va contrôler les bateaux industriels qui au large, pillent la ressource en toute impunité."
Et Mourad Kahoul de révéler une information dont il comptait réserver la primeur à ses interlocuteurs bruxellois : "Des pêcheurs de merlans m'ont rapporté avoir observé des bateaux de pêche industrielle étrangers opérant au large de la Provence, entre 12 et 25 milles des côtes, sur une ligne allant de Marseille à Porquerolles. Et cela se passait il y a moins de 15 jours."
Aucun commentaire n'a été laissé pour le moment... Soyez le premier !